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Anaïs Chartier, une plume, des histoires...
Anaïs Chartier, une plume, des histoires...
16 janvier 2011

Visite des Catacombes

Plusieurs stations de métro plus tard (Monge, Censiers, Gobelins, Place d’Italie, Corvisart, Glacière, Saint-Jacques), nous parvînmes à la station Denfert-Rochereau.

Déjà, le nom était sans équivoque. Denfer : ça promettait de l’être. Il y a des noms comme ça, qui sont amusant dans leur originalité.

L’entrée des Catacombes se faisait avenue du colonel Rol-Tanguy. Nous traversâmes l’écheveau de routes et passâmes près de la statue de lion. Nous hésitâmes à entrer dans ce tombeau géant, et, pour ma part, je trouvais cela un peu macabre. Et puis, il était déconseillé aux cardiaques et aux jeunes enfants d’y aller. J’étais un jeune enfant qui aurait certainement des frissons d’horreur face aux ossements ; le plus difficile serait d’éviter les cauchemars ensuite, ou les réactions exagérées sur le moment.

Finalement, nous entrâmes, car nous n’allions pas nous laisser impressionner par quelques crânes. Les vivants, c’était déjà bien assez suffisant.

A l’entrée, ce panneau : “ à la mort, on laisse tout ”. J’étais amusée par la remarque. Je n’étais pas au bout de mes surprises.

Nous avançâmes et parvînmes à l’entrée à proprement parler. Au-dessus de nos têtes, ce message : “ Arrête ! C’est ici l’empire de la mort …”. Je ne pouvais plus reculer.

Une odeur âcre me prit à la gorge. Mais cette odeur putride n’existait que dans ma tête : les lieux étaient ventilés. L’atmosphère était pourtant humide, et les parois suintaient d’eau. Des coulées de salpêtre semblaient être des griffures laissées par quelque mort-vivant. Nous descendîmes les marches de pierre, essayant de garder notre équilibre. Il y avait peu de monde dans le sépulcre ; de vivant je veux dire. Le silence abyssal était glacial. Quelques champignons étaient disséminés dans des coins : les seuls organismes vivants dans les Catacombes étaient en état de putréfaction.

Les premiers ossements apparurent de part et d’autre du couloir et allaient jusqu’à former une voûte au-dessus de nos têtes. Je me crispais, prenant le moins de place possible en restant au milieu du couloir, comme si les os allaient me sauter dessus, ou comme si j’allais me faire attraper en passant par un cubitus ou un radius.

Sur notre droite, alors que nous entrions dans une salle, ce panneau :

Catacombes établies par ordre de M. Tiroux de Crosne Lieutenant Général de Police par les soins de M. Axel Gillaumot Inspecteur Général des carrières en mdcclxxxvi, restaurées et augmentées par ordre de M. le Conte Frochot Commissaire d’Etat Préfet du département de la Seine, par M. Héricart de Thury Ingénieur en chef des mines, Inspecteur Général des carrières, mdcccx. 

J’adorai la date en chiffres romains. Pour beaucoup, elle avait un sens. Je n’y lisais que “ émdécécécéiks ”. Ma connaissance du chiffre romain se limitait au C, qui veut dire cent.

C’est à ce moment-là qu’Anne posa sa main sur mon épaule :

- Aaaaaaaaaaaaaaaaaahhhhh !!! Hurlais-je, d’un long râle rauque qui résonna dans les pièces vides de vie.

- Chuuuut, ça va, ce n’est que moi ! me rassura-t-elle. Si vous avez trop peur, on peut sortir.

- Non, non. Je suis stupide. C’est particulier ici, surtout quand il n’y a pas beaucoup de visiteurs.

- Oui, il y a une atmosphère étrange. Tiens, moi qui pensais faire le musée Dupuytren ensuite…Vous savez, le musée des horreurs qui conserve des embryons d’animaux et…Non, je plaisantais ! fit-elle, voyant ma mine horrifiée. J’ai une idée : parlons. Ça comblera le vide, et ce n’est pas ça qui dérangera nos hôtes.

- C’est sûr ! Ris-je, alors qu’il ne faut pas, en présence de défunts, je le conçois. C’est très vieux ici, non ? Ça me rappelle les nécropoles gallo-romaines…

- Pas du tout ! Les Catacombes ont été construites à la fin du XVIIIème siècle. Bon, cela dit, ce n’est pas tout récent. En fait, le cimetière des Innocents a commencé à s’infester. Alors la ville de Paris a décidé d’utiliser d’anciennes carrières, et après la bénédiction du 7 ou du 8 avril 1786 - je ne sais plus trop -, la translation des restes a pu se faire. Imaginez : à la tombée de la nuit, des prêtres chantant l’office des morts…

- Aaaaaahaaaaaaa…

 

Je voyais la scène, les prêtres en noir, tels des corbeaux, chantant de leur voix vespérale des chants pour des os, ni plus ni moins. J’imaginais les chants monter vers les cieux étoilés. Je voyais tout ce petit monde suivre inlassablement les tombereaux voilés de noir. Tant de symbolisme me fit frémir.

- C’est un ossuaire municipal, en fait. Il n’y a personne de bien célèbre ici, dit-elle, mirant les crânes aux orbites vides. A par quelques uns, bien sûr, comme Rabelais, Mansart, Perrault, Lully, Danton, Robespierre, ou Colbert.

- C’est le temps, lâchai-je d’une voix blanche. C’est que ces gens ont traversé le temps. Et puis, il y a eut de célèbres visiteurs, quand même : Madame de Lamballe, Napoléon III, …

Des oraisons funèbres planaient dans ma tête, et j’entendais sonner le glas. Quelle petite sotte.

D’autres couloirs, d’autres pièces. Mais toujours ces mêmes panneaux de pierre :

Ossements de l’ancien cimetière de la Madeleine, (rue de la ville Lévêque, Nos 1 et 2) déposés en 1844 dans l’ossuaire de l’Ouest et transférés dans les Catacombes en Septembre 1859.

Ou :

Ossements des anciens Cimetières de Saint-Leu et de le Trinité (Boulevard Sébastopol) déposés en 1859 dans l’ossuaire de l’Ouest et transférés dans les Catacombes en 7bre 1859.

Nous tombâmes même sur : “ Silence, êtres mortels ”. Bien. Dans mon crâne, les orgues prirent le relais.

L’humidité transperçait mes habits. Le sol de gravier faisait crisser mes pas. J’observais un crâne, qui lui-même me fixait étrangement. Les têtes étaient détachées de leurs corps, c’est cela qui était étrange. Des tas de têtes. Des montagnes. Et là, des os. J’avais froid : il ne faisait que 14° .

Au bout d’une heure, sentant qu’on allait être asphyxiées (c’était un effet psychologique, les Catacombes étant pourvues d’un système d’air conditionné, un comble à mes yeux), nous décidâmes de quitter ce lieu sordide mais incontournable. Nous fîmes machine arrière et remontâmes au pays des vivants. Cela me fit une peine inexplicable de quitter cette poussière. On sortait ; eux, non. C’était peut-être cela.

En sortant, un type vint vers nous :

- Hé ! C’est vous qu’avez crié ? Faut pas crier !

- Oui, monsieur, répondis-je, d’une petite voix, bien, monsieur. On ne le fera plus.

Andouille.

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Commentaires
B
Tu souhaites que les lecteurs "jouent le jeu" et te laissent des critiques aussi bien positives que négatives. Je suis bien embêtée ne sachant que dire de négatif. <br /> <br /> Je suis scotchée !
Anaïs Chartier, une plume, des histoires...
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