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Anaïs Chartier, une plume, des histoires...
Anaïs Chartier, une plume, des histoires...
3 juin 2011

Incipit

        L’IMMEUBLE était vieux. 

Entassés sur les étagères des bibliothèques, d’antiques livres sentaient le moisi. Des bibelots hétéroclites, d’un âge plus ou moins avancé, complétaient le décor et les souvenirs des rares visiteurs, plus encore que ceux de l’habitante, qui ne les voyait plus. Elle n’avait plus besoin de les voir, ces objets ; ses souvenirs, elle les vivait, dans cet appartement qui sentait le renfermé.

Sur les murs recouverts de papier fané, des médaillons, des portraits aux tons plutôt jaunis que sépia regardaient les vivants par-delà la mort. On sentait que les hommes à moustache, les femmes à chignon compliqué étaient décédés, peut-être pas depuis longtemps, mais ils n’étaient plus de ce monde. C’était une certitude. Ils avaient dans le regard autrefois vivant l’étincelle en moins ; c’étaient des gens du temps jadis. 

Une antique horloge ouvragée annonçait le temps qui passe, et l’heure par la même occasion. Deux enfants en bronze ¾ des saltimbanques, certainement  ¾, paraissaient compter le maigre salaire qu’ils avaient récolté avec leurs acrobaties et morceaux de violon. Le corps, en marbre noir, était astiqué avec amour par Madame, qui ne laissait pas Consuela toucher à son dernier trésor familial. Le tic-tac régulier, qu’il fallait remonter, était le seul murmure, tenace, de l’appartement. Le mécanisme n’avait pas été altéré par les années, et l’horloge était ponctuelle. Cependant, quelqu’un avait arrêté le mécanisme à une heure matinale : 11h29.

Il régnait dans l’appartement une pénombre, une obscurité quasi constante. Même en été, lorsque le soleil inondait le boulevard Saint-Frusquin ¾ appelé aussi communément « boulevard Saint-Michel » ¾, les pièces hautes semblaient être des photographies, en noir et blanc, figées, inertes, glacées. 

L’appartement était épais. Il était poussiéreux et lourd. Pourtant, une odeur de nettoyant puait du soir au matin, 365 jours par an. Consuela, la femme de ménage portugaise qui gérait propreté et cuisine de Madame vivait presque à demeure, et peu de gens savaient qu’en fait elle avait une maison à elle, pleine d’enfants hurlant, et de vieux ronchonnant, quelque part en banlieue. 

C’était propre, d’une propreté malsaine. Il y avait tellement de bibelots, de recoins, de souvenirs et de fantômes dispersés jusqu’aux plafonds d’où pendaient des lustres de cristal, astiqués tous les mois par la brave Consuela, que les ombres vivaient, lourdes, imposantes, ¾ l‘appartement n‘était pas hanté, ses meubles, si. 

Une propreté vieille qui semblait douteuse, comme les vêtements qu’on peut acheter dans les brocantes. Ils ont été lavés, cela est flagrant, mais pour rien au monde on ne les porterait tels quels. 


*


Plus personne ne venait dans cet appartement figé. Cela faisait des années qu’aucun intrus n’était passé par la lourde porte de chêne. Mais aujourd’hui, il y avait comme un défilé, une petite foule d’amis, d’anciennes connaissances et d’anonymes, prêts à pleurer s’il le faut et à prier le bon Dieu ¾ c’est toujours mieux ainsi. Un genre de défilé du 14 juillet, orchestré, organisé, solennel aussi. En ce matin du 13 août 1965, hommes et femmes étaient endimanchés, alors que ce n’était pas spécialement le jour. 

Deux personnes, un homme et une femme, se tenaient droit comme des I, si raides qu’ils semblaient prêts à se rompre au moindre cri, au moindre élément extérieur non prévu. C’était la famille. Consuela, dans sa cuisine, préparait des rafraichissements pour les visiteurs, et se signait occasionnellement. 

La file des éplorés s’égrainait dans la chambre, tel le chapelet qui reposait sur le buste plat de la morte. On s’était refusé à l’habiller de la tenue qu’elle avait demandé, et elle gisait dans une robe de velours noir. Ses cheveux blanc étaient retenus en chignon théâtral, et comme elle semblait plutôt dormir qu’autre chose, sa tenue semblaient inappropriée, incongrue.

Le silence pesait sur tout ce décors, déjà macabre de son vivant. Le temps semblait s’être arrêté non pas à la mort de la vieille dame, mais de son vivant, et c’était bien cela qui glaçait les visiteurs.  

L’effet était plus spectaculaire encore sur les jeunes gens. Ceux-là mêmes quittaient bien vite l’appartement après s’être signés, volaient loin de cette atmosphère lourde, portaient le deuil encore quelques temps sur le boulevard Raspail et accéléraient le pas au fur et à mesure qu’ils s’éloignaient du corps. Ils pénétraient alors dans un café, comme pour conjurer le sort, pour montrer que c’était terminé, et commandaient menthes à l’eau et grenadines pour les filles, et bières blondes ou brunes pour les garçons. Enfin, ils regagnaient leurs logis, une soupente, une chambre de bonne éclairée par les rayons du jour, et quittaient leurs habits pour des robes légères et des costumes aux couleurs des boissons dont le goût sucré demeurait sur les langues et apaisait les bouches, asséchées par l’air de l’appartement. Ils s’en allaient vagabonder, car ce n’était pas encore l’heure de regagner les bancs de la Sorbonne. On y pensait, pourtant.

Et la vieille dame n’était plus qu’un mauvais souvenir.


*


On représente souvent les enterrements à l’automne, le cercueil luisant sous une pluie fine mais tenace. Le gravier du cimetière est protégé par des parapluies. Le ciel gris et bas pleure comme la procession d’imbéciles affichant une tête du nom de la cérémonie. Mais ce 13 août 1965 était figé sous un soleil de plomb. On était allé chercher le corps qui quittait, pour la dernière fois, l’appartement dans lequel il avait vécu si longtemps, pour le mener dans une petite église parisienne. Les derniers visiteurs s’étaient recueillis, puis avaient retrouvé la vieille dame dans sa boîte, à l’office. Il faisait très chaud, et sans mauvais jeu de mot, on crevait sous ses habits de crêpe. Ainsi, les imbéciles ne faisaient pas que semblant de pleurer, ils suaient à grosses gouttes. Le cercueil lui-même luisait sous les rayons jaune miel, et tous, sans exception, pensèrent, alors que la boîte se faisait manger par la terre du cimetière de Grenelle :

« Son enterrement aura été plus beau que sa vie, va ! »

Le curé prononça alors les dernières paroles salvatrices, celles que tous attendaient pour rentrer chez eux, puis, tels des corbeaux qui quittent précipitamment un champs, tous se dispersèrent dans un frou-frou de costumes et chapeaux à voiles noirs.

La morte eut son heure de gloire le lendemain matin. Son nom était inscrit à la page « nécrologie » d’un grand quotidien national. Le peu de famille qui lui restait avait daigné remercier les « amis, connaissances et anonymes qui s’étaient déplacés lors de la cérémonie d’enterrement de notre grand-tante ». Ceux-là étaient « touchés de voir que leur grand-tante n’avait pas été oubliée ». Il était certes concevable qu’on l’ait un peu laissée de côté. Ils avaient été parmi les premiers à ne plus penser à la vieille dame. On ne pouvait hélas raisonnablement pas leur en vouloir : leurs parents avaient petit à petit délaissé la grand-tante, et les autres personnes du passé étaient mortes. Des chiens ne font pas des chats, et les enfants n’avaient pas donné signe de vie à la grand-tante du boulevard Saint-Michel jusqu’à ce que celle-ci ne décède. 

Seulement voilà : elle n’avait pas de descendant, et ses petits-neveux étaient tout ce qui lui restait d’encore vivant sur terre. C’était eux que l’on appela pour annoncer le décès. Ils s’étaient retrouvés avec une morte sur les bras, ce qui avait été bien encombrant, puis ils se calmèrent un peu, obtenant en même temps que la trépassée son héritage, qui était devenu colossal avec le temps et surtout, grâce à la vie austère qu’elle menait depuis plus de vingt-cinq ans. L’époux de la petite-nièce, qui avait dû voir la morte tout au plus deux fois dans sa vie, se mit à l’appeler « feu ma très chère grand-tante », ce qui était ridicule. « Feu la très chère grand tante » devait bien rigoler, de là où elle était. C’est du moins ce que se disait Consuela ¾ qui, du reste, n’avait pas été oubliée par Madame, pour ses bons et loyaux services. 

Le 14 août 1965, il plut, et l’eau ruisselant sur les pavés fracassa les fleurs laissées sur la tombe fraîche. 

Le 15 août, jour de l’Ascension, le gardien jeta à la poubelle cette confiture odorante, car « cela faisait négligé ». Il est vrai que la tombe était proche de l’entrée. Il ne fallait pas compter sur les petits-neveux pour s’occuper de l’esthétique du lieu. Il ne resta plus sur la tombe que les témoins de relations existant malgré tout, petites plaques de rigueur (« A notre très chère grand-tante », « A notre amie », « A ma patronne », etc.), ainsi que les inscriptions, qui, au fond, résument une vie :

Eugénie 

DE LA CROIX LA TOUR 

1885-1965

 

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Commentaires
H
Une autre, une autre !!!
F
Toujours des fautes d'orthographe et de grammaire Anaïs ! ( emploi de l'imparfait et du passé simple). Et le 15 août, ce n'est pas l'Ascension mais l'Assomption. Mais persévère, persévère, Anaïs.
H
Beau texte! J'aime le côté descriptif dans le détail le plus petit.
Anaïs Chartier, une plume, des histoires...
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