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Anaïs Chartier, une plume, des histoires...
Anaïs Chartier, une plume, des histoires...
1 septembre 2011

Parisienne

          J’adore ma ville. On peut dire que j’ai de la chance : je vis dans un des plus beaux quartiers de Paris, l’un des plus en vogue aussi. L’air y est comme dans les autres arrondissements, mais c’est l’atmosphère qui y est particulière : électrique, et électrisante. Je croise des gens vêtus comme des mannequins, avec cette démarche saccadée. Des vieux pépés accompagnant des mémés tirées à quatre épingles - c’est le cas de le dire - dans des berlines rutilantes. Des étudiants avec ce look bobo que j’ai un peu, moi-même. Des intellectuels branchés, qui n’ont jamais ouvert un livre mais qui savent tout grâce à leur tablette numérique. 
          Les cafés sont mon antre, les librairies, mon salon. Bonheur immense et peu partagé : je passe mes journées à errer dans les rues. Mes pas martèlent les pavés, et, quand je suis essoufflée, je vais m’assoir sur un de ces bancs qui peuplent les squares. Je suis germanopratine. 
          Peu de mes voisins ont conscience de cette chance. Moi, je l’ai. Je suis doublement chanceuse. On s’entend bien, pourtant. Ils me parlent de leurs soucis, je les écoute avec attention. Puis, ils partent vaquer à leurs occupations, fermer des usines pour les messieurs, et hausser le niveau de la consommation sur les Champs pour les dames. A eux deux, un couple germanopratin équilibre l’économie française. Ce n’est pas rien.
          Ils me parlent souvent de ma chance. Ils aimeraient être comme moi, insouciants dans Paris. Les usines, les boutiques de luxe ne peuvent tourner sans eux. Mon activité à moi n’implique que ma petite personne. C’est moi la plus bobo d’entre eux tous.
          - Lire et écrire… me lâcha un jour Jeanne-Christine, voilà ce que j’ai toujours voulu faire. Mais je n’en ai pas le temps.
          Il est vrai que j’avais cette richesse. Le temps était à moi. Je pouvais rester des heures à la terrasse d’un café, à écrire des lignes et des lignes sans que rien ne souffre de cette activité. J’avalais d’une traite mon café, puis j’allais errer le long des rayonnages des librairies. 
          Je n’achetais jamais rien. J’allais découvrir ce qui venait de sortir, je touchais les couvertures, je sentais l’odeur du papier fraîchement imprimé, et je discutais avec les vendeurs. J’aimais beaucoup ces discussions littéraires. J’y avais mes rendez-vous - le mercredi après-midi. Pour mes achats, j’allais dans des boutiques d’occasion, sur le boulevard du Montparnasse principalement. J’avais mes adresses. Les libraires me connaissaient et acceptaient mes habitudes un peu marginales. 
          J’étais parisienne de naissance. Mes parents avaient vécu à Montmartre, dans une petite maison comme on n’en voit plus. J’avais quitté le quartier à leur mort, en emportant le chien. Il nous avait quitté lui aussi, mais je n’étais pas seule. Avide de littérature, j’étais venue m’installer dans ce quartier mythique. Sartre et Beauvoir m’avaient précédés. On m’a vite connue et acceptée dans le décor. J’étais devenue la mascotte du quartier, la figure de proue de ces rues un peu folles, lacérées par le boulevard Saint-Germain. J’avais un nom.
          Le soir, repas dans un fast-food, un petit restaurant, parfois. Je devais quitter mon quartier, pour peu de temps. Il me manquait sacrément. Je revenais en marchant le long de la Seine. Les lumières se reflétaient dans les ténèbres aquatiques. Je m’arrêtais parfois au milieu d’un pont, pile au milieu, et me disais :
          - Je suis sur la Seine.
          En pensées, cela faisait : « je suis sur la scène ». Cela m’amusait. Je regardais l’île de la Cité et la noirceur des flots. Jamais je n’ai pensé à sauter dans le vide. Pourquoi l’aurais-je fait ? Je suis heureuse.  Plus heureuse que ceux que je côtoie. 
          Je rentrais ensuite « chez moi ». C’était une chambre de bonne au dernier étage sans ascenseur d’un immeuble haussmannien, payé par quelques habitants, qui s’étaient cotisés. Ils m’en avaient fait cadeau après trois hivers passés dans le métro. Je lisais à la lumière blanche qui tombais de mon plafonnier. Je m’abimais les yeux, mais j’aimais trop ça pour arrêter. Lire en journée : impossible. En journée, j’écrivais. Et parfois, aussi, je m’asseyais sur le sol, et je faisais la manche.
          J’étais la clocharde de Saint-Germain-des-Prés.
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Commentaires
B
C'est joliment écrit, simple sans détour, ni artifices, c'est agréable à lire, et on devine très bien les lieux décrits, l'atmosphère parisienne, et on imagine très facilement le personnage dans les rues de Paris... Beau texte, j'aime bcp.
Anaïs Chartier, une plume, des histoires...
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