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Anaïs Chartier, une plume, des histoires...
Anaïs Chartier, une plume, des histoires...
1 octobre 2011

Rencontre sur la route

          Assis sur « notre » talus, nous avions Grenoble à nos pieds. Derrière nous, la montagne nous surplombait. Je racontai ma vie à mon ami. Mon amour. Ma fille. Ma carrière. Mon malaise. Ma chute. Mon congé sans solde. Ma fuite. Ma tromperie. Mon accident avec un motard qui ne sait pas regarder. Il rit à cette dernière remarque :
          - Toi non plus tu ne fais pas attention. C’était à toi de contrôler si rien n’arrivait !
          - Tu avoueras que pour quelqu’un qui n’a pas conduit de voiture depuis une bonne dizaine d’années, je ne m’en sors pas trop mal. 
          - Ouais. Alors comme ça, tu vas au Kosovo ? Tu fais un crochet par tes parents, c’est ça ?
          - Pas du tout. Grenoble était sur ma route. Je ne veux pas que les gens sachent. 
          - Tu comptes revenir ?
          - Je ne sais pas, fis-je, le regard du poète perdu dans la vallée.
          - Il le faut. Penses à ta fille, au moins : elle a sûrement besoin de toi. 
          - Mais personne ne m’appelle !
          - Alors c’est pour ça que tu es parti. Pour voir si l’on t’appelle. Mais mon vieux, si elles t’aiment autant que tu me l’as décrit, elles ne t’appelleront pas.
          - Pourquoi ?
          - Par respect pour tes choix. 
          Je ne répondis rien. 
          - Tu pense passer par quelles villes ? 
          - Je compte passer la nuit à Grenoble, puis remonter vers Chambéry et passer les Alpes. Ensuite l’Italie, avec Turin, Milan, Udine, puis Zagreb et Sarajevo. Ensuite, j’irai me perdre sur les routes du Kosovo. 
          - Et ensuite ?
          - On verra. 
          - Bon, pour cette nuit, c’est tout vu ?
          - Comment ?
          - Tu dors à la maison, hein !
          - Je ne voudrai pas déranger.
          - Pas de danger : Mylène est chez sa sœur.  
          Je souris. Mylène ne m’avait jamais vraiment accepté. Tout comme Lou, qui ne se portait pas plus mal de ne plus voir Eric. Notre relation était trop fusionnelle pour que nos amours respectifs ne la tolèrent bien longtemps.
          Nous restâmes longtemps sur le talus à deviser de tout et de rien, comme des ados que nous étions restés. Nous nous donnions des airs comme ça, moi en journaliste très professionnel, lui en cadre dans sa banque, mais il suffisait de nous réunir sur notre lieu culte et nous retombions vingt-cinq ans en arrière, nous parlions de rock, de films, de concerts, de tout, de rien. Nous refaisions le monde. Le soir tomba enfin. Grenoble est dans la montagne. Les soirées y sont froides. Eric enfourcha sa moto, et moi, je regagnai ma voiture. Eric m’ouvrit la route. 
Il habitait à présent un luxueux appartement dans le cœur de Grenoble. Lorsque j’entrai, je tombais sur ses fils, des jumeaux qui se ressemblaient comme deux gouttes d’eau. Quentin et Simon avaient quatorze ans. Ils connaissaient la vieille amitié qui m’unissait à leur père, mais furent timides en me voyant débarquer chez eux. Quentin, qui était le plus hardi (et ce, parce qu’il était l’ainé, me confia-t-il), m’annonça tout de même : 
          - On avait vu les photos. Mais on pensait toujours que c’était du bluff, que son pote était quelqu’un qui te ressemblait, mais qui n’était pas toi. Entre nous, on le traitait de mytho.
          - Bein non, c’était pas un mytho, fis-je en le décoiffant.   
          Eric commanda des pizzas. Les jumeaux allèrent acheter du Coca à la superette du coin. Il mit deux bières au frais. Je dépliai devant la télé des plaids. A quatre, nous choisîmes un film, et nous nous installâmes devant, par terre, avec nos pizzas, notre Coca et nos Kro. Maman n’était pas là. C’était une soirée mecs. Le film terminé, nous nous allongeâmes sur le dos, dans le noir, et parlâmes de tout et de rien. Les jumeaux se confièrent sur leurs amis, leurs cours, et leurs amours aussi. Je devais apparaître comme une sorte de grand frère, et ils se confièrent devant leur père. 
          Cela me fit du bien. J’avais une relation privilégiée avec ma fille, mais cela n’était jamais comme avec un fils. Je me pris à rêver d’emmener mon garçon voir un match de foot, dans un concert rock comme ceux que je fréquentais ado avec Eric, voir des films d’action avec du pop-corn plein la bouche. 
          Il était une heure du matin lorsque nous allâmes nous coucher. Les jumeaux, si timides quelques heures avant, ne voulaient plus me laisser. Eric lançait des « si votre mère savait ! Si votre mère savait! ». Finalement, ils finirent par aller au lit. Quentin me fit, dans un bâillement :
          - Je suis bien content de t’avoir rencontré. Tu reviendras, hein ?
          - Bien sûr. Finalement, moi aussi je suis bien content que ton père me soit rentré dedans avec sa moto.
          - Oui. Il ne regarde jamais. Mais c’était cool. 
          Regard outré du père. Je filai dans le clic-clac en riant comme un gosse. Allongé sur le dos, je tirai sur mon tee-shirt. Eric… Mon Eric… Ses fils… Je n’aurais jamais du les laisser. C’était à moi, bien sûr, de garder le contacte. J’aurais du l’appeler, l’inviter à Paris. J’aurais du faire quelque chose. Le temps et Mylène n’étaient pas les seuls responsables.  Je m’endormis en me promettant de tout faire pour revoir mon ami. Mais il fallait déjà que je me décide à revoir ma femme et ma fille.
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Commentaires
A
merci beaucoup ! comment vas-tu toi ? :)
B
C'est prometteur
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