Canalblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
Publicité
Anaïs Chartier, une plume, des histoires...
Anaïs Chartier, une plume, des histoires...
20 octobre 2011

Des feuilles sur la route - Prologue

          Je ne sais pas par où commencer. J’ai cent cinquante pages pour vider mon sac. Une thérapie à l’écrit, voilà qui est original. Mais mieux vaut écrire seul que parler seul, allongé sur un divan inconfortable, dans une pénombre stylisée, pleine de livres, de photos en noir et blanc, avec Freud qui vous contemple, l’air méchant. En plus, ça coûte moins cher. Et on se sent moins con que chez un psy. 
Parler, donc. Raconter. Trouver un début qui colle. En même temps, je m’en moque : personne ne me lira. Ces notes sont pour moi. Et d’ailleurs, je ne suis même pas sûr de me relire un jour. Mais écrire, noter, laisser une trace de ce que je vois, j’en ai besoin. Malheureusement, je n’ai pas le mode d’emploi. Ecrire est beaucoup plus difficile qu’il n’y paraît. 
          Je n’ai jamais écrit. Il semble improbable que l’on se mette à écrire à mon âge. Pourquoi ressent-on ce manque, cette nécessité de l’être, qui hurle au plus profond de nous ? Ce besoin, qui ressemble à s’y méprendre à un besoin enfantin - sentir sa mère, téter son lait, écrire sur sa vie ? Pourtant, c’est bien ce que je dois faire. A quarante ans et quelques, c’est peut-être un caprice dû à une crise. Moi qui n’en ai jamais connu aucune, voilà un inédit qui ne manque pas de sel. Pas de crise d’adolescence, pas de crise conjugale. Pas même de crise avec ma fille de dix-neuf ans. Tout va bien, et tout l’a toujours été. 
          C’est peut-être trop parfait. Peut-être ai-je besoin de chambouler moi-même ma vie ? Peut-être suis-je l’origine de cette nécessité ? Peut-être est-ce le résultat de ce que j’ai attrapé ? Je n’en sais rien. Je pense que, plus j’avance dans la vie, moins je me connais. Et ça me fait peur. Bien plus peur que de savoir ce que, peut-être, j’ai attrapé.
          Ceci est mon premier recueil de pensées. Pensées amères, absconses, ignobles, mais je tiens à dire pour ma défense que je suis rousseauiste et que c’est la société qui corrompt l’homme. Vous ne pouvez vous en prendre qu’à vous-mêmes, donc - si quelqu’un me lit un jour. Mais ce que j’écris est idiot, personne ne lira jamais un carnet de notes, que l’on retrouvera certainement sur le siège avant d’une voiture, à côté du cadavre d’un homme, vieux déjà, jeune encore. 
          L’écriture permet de libérer. Tant mieux, j’ai toujours été prisonnier. Prisonnier des mots et de moi-même. Pourquoi me suis-je mis à écrire ? En vérité, je suis inexact : j’ai déjà écrit. Je suis coutumier de la chose. C’était même mon activité principale, avant celle qui consistait à parler devant des milliers de personnes - j’exagère à peine. Mais ce que j’écrivais, ça n’était pas moi. Ou plutôt, c’était quelqu’un qui n’était pas moi. C’est bien pire. Mon corps était habité par la mauvaise âme. Je m’en suis rendu compte quarante-trois ans après ma naissance. Mieux vaut tard que jamais. Ecrire sur moi, enfin, va peut-être être le soulagement que j’attends depuis ma naissance ? J’en espère une thérapie. Je place la barre très haut. C’est tout moi, ça.
          Le paysage devant moi est tellement sec qu’il me rappelle ma vie. Celle d’avant, que d’ailleurs je ne vivais pas. Vivre - peut-on utiliser ce noble verbe lorsque l’on ne fait que louer son existence ? J’ai vécu dans un autre paysage, celui qui a des consonances de baffes dans la figure, le PAF. Le PAF est un mensonge auquel tout le monde aspire. L’humanité, dont je fais partie, est tombée bien bas. Si c’est ça le vingt-et-unième siècle… Je préférais le vingtième. Mais, hélas, il était déjà bien gangréné. 
          Je voudrais que mes notes soient belles, pourtant. J’aimerais qu’une fois dans ma vie j’écrive de la beauté. J’aimerais que cette beauté soit vérité. Peut-être sera-t-elle plus consistante, pour une fois. Ma vie fut si floue, si liquide, si aérienne, que j’ai besoin de matière. Liquide, aérienne : voilà de beaux adjectifs. Je les trouve ignobles. Ma vie est liquide, car elle me coule entre les doigts ; elle est aérienne, car elle s’éparpille dans tous les sens, comme un feu d’artifice. Tout est question d’interprétation.
          Un feu d’artifice, c’était pourtant bien cela : c’était pétillant, coloré et lumineux. Et chaud : chaleureux, certes ; mais on peut facilement se brûler les ailes, dans mon monde. Et puis bref, si bref, cela fait pshiiiit. Et puis plus rien. Où vont les couleurs, où va la lumière quand elles retombent ? Elles retombent : elles s’enfoncent dans la terre, comme de petits cadavres. Et bientôt, j’irai les rejoindre à mon tour. Je serai mangé contre ma volonté. Alors, mon dernier choix, je l’ai fait. J’en suis seul responsable. Je ne pourrai jamais le regretter.
*
          J’aurais pu finir ma vie, entouré d’une femme qui ne m’aime sûrement plus car elle m’a trop aimé, et soigné par une fille qui a autre chose à faire que de suivre mon sillage. Et j’aurais attendu, attendu quelque chose qui ne venait pas, attendu d’être viré de ma chaîne car mon programme - autant dire moi - n’intéressait plus. Mais je veux autre chose. Je ne veux pas être celui pour qui elles restent, malgré elles. C’est pour elles que je suis parti, pour qu’elles n’aient pas à supporter mes souffrances. Ma petite Nanouchka aurait emménagé chez moi si je n’étais pas parti. Elle aurait abandonné son appartement, son copain, ses études brillantes, qui sont sa passion. C’est bien le genre de Nanouchka. Et Lou… Si je ne m’étais pas enfui…
          Mais je ne me suis pas enfui. Je dis n’importe quoi. Je suis parti car c’était mon destin. Partir, c’est différent de s’enfuir. Partir est un acte conscient et voulu. S’enfuir se fait dans la hâte. Mon destin était inéluctable, mais préparé. On n’échappe pas à son destin : la preuve, je n’ai pas échappé à ce que j’ai. Et si tout était prévu d’avance ? Etais-je condamné ? Ma destination finale - assis seul, dans cette vieille voiture toute déglinguée, ici, au sud de Milan - était difficile à imaginer. Quitter Paris, sortir du monde faux dans lequel j’ai évolué si longtemps et qui commence à m’oublier… C’est une nouvelle naissance.
          Je passe quatre fois par semaines à la télé pourtant, mon nom est présent sur wikipédia, trois fakes se paient ma tête sur Facebook, et si on tape mon patronyme sur Google Images, on n’aura pas trop de mal à voir ma trombine. J’ai une femme sûrement convoitée, une fille aimante, belle, intelligente. J’ai un appartement dans un des quartiers les plus riches de Paris, bien décoré, chaleureux, plein de souvenirs heureux. J’ai un boulot bien payé qui me passionne, enfin, j’avais. J’ai réussi dans la vie. Mais c’est bien cela le problème : le succès est derrière moi, je n’ai, en somme, plus rien à attendre de la vie. Pareil à la chanson de Michel Berger : certes, je ne suis pas businessman, mais j’ai le blues. Oui. J’ai un caillou dans ma chaussure.
          Je n’ai même plus rien à attendre de personne. Ma relation avec ma compagne, qui reste l’amour de ma vie, est fichue. Ce n’est plus la peine d’investir de ce côté-là. Gaspiller de l’énergie, de la force, du temps, alors qu’elle ne m’aime plus, et qu’elle ne pourra plus m’aimer comme elle le faisait avant, quand elle me regardait, quand elle me touchait la joue, quand elle me parlait… Elle ne me regarde plus, ne me touche plus la joue et ne me parle plus. Comme ça, c’est réglé. 
          Et puis, elle n’est pas condamnée, elle. Elle est si jeune, et si belle. J’ai encore de l’affection pour elle. Je veux qu’elle refasse sa vie. Je sais que ça sera difficile. Je sais qu’elle aura du mal à m’oublier. Elle ne voulait pas que je parte. Elle m’a retenu sans me le dire. Je suis parti quand même, de nuit, sans la réveiller. Je sais, c’est mal. Je serai sûrement jugé un jour. Mais elle a mon numéro de téléphone portable, et je le garde sur moi, toujours allumé. C’est mon dernier lien avec mon ancien monde. 
          Je n’ai pas dit que c’était fini. Je ne lui ai pas dit qu’elle avait carte blanche. Qu’elle n’avait pas besoin de m’attendre. C’est hypocrite. Une relation, à plus forte raison une relation comme nous avons eu, n’est jamais terminée. On ne peut pas conclure vingt-trois ans de vie commune avec des mots. Alors, pour une fois, je n’ai rien dit et je suis parti. Le silence qui s’est installé est un rempart, et j’ai su l’utiliser au moment voulu.
          Je suis fini, mais c’est mon dernier espoir, mon dernier sursaut vers la vie.  Et ça n’est pas parce qu’il ne me reste plus beaucoup de temps que ça allège l’angoisse qui m’habite depuis plusieurs semaines maintenant. Il fallait que je fasse quelque chose de complètement dingue pour m’en sortir. Quitter mon boulot avant qu’il ne me quitte, fuir ma vie amoureuse, laisser derrière moi ma famille, m’expatrier sans rien dire à personne : je pense qu’il n’y a pas de geste plus fou. « Insensés », diraient mes parents. Il va de soi que mes parents non plus n’ont pas été mis au parfum.  
          On doit tous mourir. Mais je voulais que ma mort arrive après ma réalisation, mon ultime succès.
Publicité
Commentaires
B
Comme pour "la première balle", ca donne furieusement envie... on voudrait lire davantage, c'est vraiment bien écrit, sans prétention aucune, sans fioritures, tu vas à l'essentiel, on voit déjà le "sujet" si je puis dire, en toute distintion. Non franchement j'aime bien, j'ai envie d'en lire davantage.<br /> Jmarc
Anaïs Chartier, une plume, des histoires...
Publicité
Publicité