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Anaïs Chartier, une plume, des histoires...
Anaïs Chartier, une plume, des histoires...
1 septembre 2011

Cela faisait tellement longtemps...

          Clac ! Photo prise. Elle est réussie. Isobel sourit légèrement, en glissant derrière son oreille une mèche échappée de sa queue de cheval. Lumière tamisée. Sourires. Espoir dans les yeux sombres. Couleurs prêtes à s’envoler figées à jamais. Les pigments lancées dans les airs retombent sur les femmes drapées de voiles et de robes oranges, rose fuchsia, bleu turquoise. 
          Clac ! Seconde photo de la foule, émerveillée par le spectacle. Zoom sur les voilages s’échappant des fenêtres sans vitre, ouvertures d’où se penchent les enfants, des grappes d’enfants sales mais heureux du spectacle simple mais majestueux.  Ils poussent des cris de joie à chaque nouvelle lancée, bleu, rouge, ocre, vert, et les couleurs qui retombent tapissent le sol sec qui n’a jamais connu la pluie. La procession avance dans la rue, suivie par Isobel, trop émue pour parler. 
          Photographe de profession, elle immortalise ces instants fragiles, où tout peut basculer. Elle aime les pays réputés dangereux pour les impressions qu’ils dégagent, ces photos naturelles, non truquées qu’elle peut faire. Rien n’est plus beau que ce dont on n’a pas l’habitude. Elle choisit ses destinations plus par curiosité que par amour du risque. Il n’y a pas de service d’ordre, pas d’organisateurs ; pourtant, la manifestation va se dérouler sans heurts. C’est pour cela qu’Isobel, Anglaise de 38 ans, a risqué de s’aventurer seule dans ce pays du sud-est asiatique. Et puis, la beauté ne se partage pas. 
          Isobel s’été envolée de l’aéroport d’Heathrow la veille. Elle avait ses valises sous les yeux, pas dans sa chambre. Elle voyageait léger, un sac-à-dos, quelques vêtements, un guide touristique, et son appareil photo. Elle aimait le contact avec les gens, parler avec les femmes, faire rire les enfants, acquiescer face aux vieux hommes. Clac ! Le groupe, la foule fut, à son tour immortalisée. Elle vit qu’un groupe de garçons la montraient du doigt, ou, plus précisément, son appareil photo. Elle leur sourit, s’accroupit et leur montra l’écran. Les jeunes enfants le touchèrent, se montrèrent les uns aux autres. Isobel zooma, détailla la photographie sur l’écran. Soudain, elle s’arrêta : lui, c’était lui sur son écran à elle. 
          Impossible. Et pourtant, ce regard, cette allure, ces cheveux, tout indiquait qu’à plus 10 000 kilomètres de Londres, il était là, au même endroit qu’elle. C’était un signe du destin. C’était impossible. C’était une mauvaise comédie romantique. Elle abandonna le groupe et se releva. Elle tourna sur elle-même et chercha. Enfin, elle vit cette veste noire - encore un signe : il n’y avait que lui pour porter veste noire et jean en pareil endroit. 
          Elle est heureuse : quelle surprise elle va lui faire ! Il ne va pas s’en remettre. Elle a hâte, tellement hâte de voir sa tête, lorsque lui aussi va la reconnaître ! Elle marche vite, elle court presque. Il semble fuir les lieux. Mais c’est une illusion : il a toujours marché rapidement. 
***
          Elle se souvient de leur dernière rencontre : au pub. Elle pleurait ; il lui tenait la main. Elle a été forte, ce jour-là. Mais est-ce une force que de rejeter son amour ? Elle le suit, elle repense à tout. Elle l’avait aimé, aimé si fort, qu’elle se demande soudain si elle peut lui sauter dessus, comme ça. Sans crier gare. Il avait souffert de leur rupture. Souffert doublement, puisqu’il était la cause de cette rupture. Ils ne s’étaient pas revus. Cela faisait quatre ans. Mais c’était lui, c’était bien lui, qui marchait devant elle. 
          Il était si beau. Il n’a pas changé. Moyen, mais plus grand qu’elle. Le cheveux noir, souvent en bataille. Les yeux bleu-vert, changeant, comme la mer du Nord. Il était si beau qu’il l’avait trompée. Isobel ne s’en était jamais vraiment remise. Elle l’avait appris à ses dépends, le lui avait demandé si tout ce que l’on disait était vrai. Il n’avait pas démentit. Alors, Isobel l’avait quitté. Et elle avait tenu bon.
          Elle ne l’avait pas revu depuis quatre ans. Mais là, en plein milieu d’une fête de village dans un pays inconnu, elle fut heureuse de le revoir. Elle marchait, toujours plus vite. L’avait-il vue ? Cherchait-il à la fuir ?  Probable ; elle voulait quand même lui sauter dessus, en criant « surprise ! » . La joie l’envahit, une joie indicible, elle en avait le sourire aux lèvres. Edward était là, et tout serait peut-être comme avant. Au moins pourraient-ils être bons amis ?
          Et puis, elle ne sut si elle allait vraiment s’adonner à ce genre de gamineries. La dernière fois qu’elle avait vu Edward, elle pleurait, et lui retenait ses larmes. Fait-on ça ? Saute-t-on au coup de l’amour de sa vie après qu’on l’ait plaqué - même pour de bonnes raisons ? Elle en doutait sérieusement. D’un côté, elle aurait aimé tirer un trait sur le passé : de l’autre, ce passé douloureux revenait à la charge. Elle ressentit son amour jaillir comme autrefois, comme avant, quand tout était encore possible. Mais cela faisait tellement longtemps… elle ne sut dire combien de temps elle avait attendu avant de lui parler. Des siècles, c’était bien probable. 
          Comme à présent : il semble que jamais elle ne l’atteindra. Elle presse le pas. Isobel arrive à sa hauteur, et en allongeant le bras, elle pourrait le toucher. Ses enfantillages retombèrent comme un soufflet. Lui tapoter l’épaule, vraiment ? Et lui dire quoi, ensuite : c’est moi ? Coucou ? Salut ? C’est toi ? 
          Elle souffre, elle doute. Elle pourrait tourner les talons et s’en aller bien vite. Après tout, Edward, elle l’avait oublié. Ou pas totalement…
***
          Elle se mord les lèvres, fronce les sourcils. Il faut qu’elle se lance. Il n’est pas là par hasard. Il y a une raison, qu’importe qu’elle soit divine ou astrale. Si elle ne lui parle pas, elle le regrettera toute sa vie. Isobel avance le bras. Elle opte pour la troisième question. Si Edward sourit, elle lui propose un verre à l’hôtel. Sinon, tant pis, elle ne le reverra jamais. Ce ne sera qu’une interlude, une interlude qui se sera passée loin, très loin de Londres et qui ne comptera que pour du beurre. Une folle parenthèse. Un espoir, pourtant.
          Son bras monte et redescend lentement. Tout en posant sa fine main sur l’épaule d’Edward, elle demande :
          - Hey ! C’est toi ? 
          L’homme se retourne. 
          Ce n’est pas Edward.
          Il n’y a pas de hasard.
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