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Anaïs Chartier, une plume, des histoires...
Anaïs Chartier, une plume, des histoires...
11 septembre 2011

La première balle (2)

           J’ouvris les yeux. Un temps infini s’était écoulé depuis ma folle course. Une heure. Une seconde.
          J’étais assis sur une chaise de paille. A ma droite, des chaises identiques. A ma gauche, la similitude du décor me donna le vertige. Je me retins à ma chaise de peur d’en tomber. Devant, derrière, partout dans cette obscurité caverneuse : des chaises de pailles, alignées, petits soldats de dois d’une armée - laquelle ? cétait trop grand pour être une salle de cours. 
          Je levai la tête : au-dessus de mon crâne, à une dizaine de mètres de hauteur, une clef-de-voûte. 
          Clef-de-voûte : peut s’écrire clé-de-voûte, aussi. Mais je préfère la forme en ancien Français : clef. “ Clef-de-voûte ” : c’était mon mot préféré de la langue Française - l'un des moins usités par la même occasion, ironie du sort. Je marrangeais pour le prononcer le plus souvent possible. A chaque fois que jentrais dans une église, je marrangeais pour déclamer ce qui devint mon fameux :
          - Oh ! Regardez ces magnifiques clefs-de-voûte ! 
          J’adorais le son claquant du cl : la langue vient taper le palet à deux endroits : un pour le [K], un autre pour le [l]. Le délice se terminait par un te velouté : le [t] de voûte. Mais avant cette explosion dans la bouche, on passait par un sublime ou de voûte  : [ou] coulant, léger, une vraie glace au lait, comme autrefois. Je parlais de clef-de-voûte à chaque fois que l’occasion m’était donnée, c’est-à-dire pas souvent. Je forçais un peu, parfois : c’était un moindre mal. Là où on n’imaginait nulle clef-de-voûte, il y en avait pléthore. On utilisait souvent “ clef ” ; hélas, mon bonheur n’était complet que si suivaient “ de voûte ”.
          Et puis, dans chaque édifice, j’avais mon quotas de clefs-de-voûte. Clef-de-voûte : en pénétrant dans une église, mes parents étaient sûrs d’y trouver leurs clefs-de-voûte.
          Mes yeux quittèrent la clef-de-voûte et descendirent le long des croisées d’ogive. Croisée d’ogive : c’était aussi un vocable délectable. Je ne m’étonne pas que mon amour des mots ne concerne que ce qui touche aux constructeurs et bâtisseurs des cathédrales. Cathédrales : encore un. Je m’appelais Roman, comme les églises, ne l’oublions pas. 
          Mes yeux suivirent les arcs boutants et longèrent les murs de pierres millénaires, taillées comme je commençais à le deviner il y a plus de huit cents ans. Le carrelage, constitué d’énormes carreaux de marbre blancs et noirs déposés en damier, me confirma que j’étais dans l’église construite sous les ordres de l’Abbé de Sully. De grandes rosaces. Le chœur. Non, non : je ne me trompais pas.
Comment Diable m’étais-je retrouvé à Notre-Dame ?
          Il n’y avait personne, et pour cause : la cathédrale était fermée au public à cette heure tardive. Le silence était - sans jeu de mot vaseux -religieux. Les rayons de pleine Lune passaient à travers les vitraux de la grande rosace. Cétait féérique. Du silence semblaient séchapper des chants grégoriens. Lieux de paix sur cette planète, dans cette ville pourtant adorée : il me fallait ce vide, ce silence, ce mysticisme.
          Je ne fermais même pas les yeux : à genoux, comme un chevalier, je joignis mes mains à hauteur de ma poitrine et commençais ma prière. On aurait plutôt dit un monologue ; peut importe, je m’adressais à Dieu.
          - Il faut que Tu maides. Aides-moi. Protèges-moi. Jai besoin de Toi. Donnes-moi la force de me battre ; seul, je naurais même pas le courage. S'il te plaît...s'il te plaît... 
          Ce n’était qu’un murmure plaintif de jeune enfant. J’étais un homme…
          Je pleurais silencieusement, la tête baissée, les yeux fermés, à genoux. J’étais un homme… J’étais un chevalier. Il fallait que je devienne le templier qui se bat pour une cause sainte ; les livres entraient dans cette pieuse catégorie. Le Mal, je devais vaincre le Mal. Ma douleur se transforma en rage, en rancœur. Qui eut pu deviner que le Mal m’apparaîtrait, d’une part, un jour, et d’autre part, sous la forme d’un bête professeur de Français ? 
          Bête : c’est bien le mot. La bête : j’allais terrasser le dragon.
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Commentaires
B
un extrait moins percutant dans le cynisme du 1er jet que tu nous avais mis à dispo mais celui ci est quand meme excellent dans sa lecture et cette argumentation sur le mot "clef-de-voûte".<br /> Chapeau bas Anaïs ! Au fait rien à voir, mais très heureux de t'avoir rencontré à Paris vendredi, je fus charmé.
Anaïs Chartier, une plume, des histoires...
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